Une exposition des manuscrits de Mathias Corvin conservés à Paris s’est tenue à la BNF à l’occasion du colloque Matthias Corvin le 16 novembre 2007.
Matthias Corvin avait rassemblé dans son palais de Buda une somptueuse bibliothèque qui, à sa mort, comptait près de 2 500 manuscrits : elle recouvrait tous les domaines du savoir, particulièrement les écrits humanistes et les textes grecs. Plus de deux cents manuscrits en ont aujourd’hui été retrouvés ; ils sont conservés principalement à Budapest, Vienne, Modène, Munich et au Vatican.
La Bibliothèque nationale de France conserve sept manuscrits et un incunable provenant de la bibliothèque du souverain hongrois. Ils sont
représentatifs des trois grandes étapes de la constitution de cette bibliothèque, qui rivalisait avec celles des princes italiens de la Renaissance,
les Médicis à Florence, les Sforza à Milan, les Este à Ferrare :
Comment ces Corviniana sont-ils entrés dans les collections nationales ? Et à quelle date ? Trois de ces manuscrits sont parvenus dans les collections royales par l’intermédiaire de la bibliothèque des rois Aragonais de Naples, en partie rapportée par Charles Ⅷ, à la suite de son expédition italienne (nos 1 et 2), en partie vendue par Ferdinand Ⅲ d’Aragon au cardinal Georges d’Amboise (no 5). Trois autres manuscrits entrèrent à la Bibliothèque royale avec les collections de bibliophiles de renom : Trichet du Fresne, en 1662 (no 7), le cardinal de Mazarin, en 1668 (no 3), le duc de La Vallière, en 1783 (no 4) ; ils les avaient probablement acquis en Italie. Le no 6 fut acheté à Constantinople par un représentant de la France en Orient vers 1760-1770. Le no 8 fut acheté en vente publique en 1804.
Sénèque, Œuvres philosophiques
Parchemin, 137 f., 315 × 220 mm
Italie du Nord, fin ⅹⅲe s.
Reliure en veau raciné aux armes de Louis ⅩⅧ
BnF, ms. latin 6390
Matthias Corvin possédait deux manuscrits des œuvres de Sénèque : un exemplaire contenant les Tragédies, conservé à Oxford, et le présent manuscrit qui réunit ses œuvres philosophiques dans une tradition textuelle assez commune.
Le manuscrit ne porte pas les armes de Matthias Corvin, mais au dernier feuillet (f. 136v) la mention Re d’Ungaria qui atteste qu’il a bien fait partie de sa bibliothèque. Cet exemplaire, copié en Italie du Nord à la fin du ⅹⅲe s., par un certain Jean, semble avoir appartenu au milieu du ⅹⅴe s. à un professeur de droit à Bologne, Jacopo Perleoni da Rimini ; c’est lui qui l’aurait vendu pour douze ducats au roi de Hongrie.
Le manuscrit est par la suite entré dans la bibliothèque des Aragonais de Naples (cote ⅭⅬⅩⅤ, au f. 1), dont la plus grande partie fut rapportée en France par Charles Ⅷ, à la suite de son expédition de Naples.
Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur les Épîtres de saint Paul aux Corinthiens
Papier, 265 f., 285 × 205 mm
Italie, 1re moitié du ⅹⅴe s.
Reliure en maroquin citron aux armes de Henri Ⅱ ; tranches dorées et ciselées au chiffre de Henri Ⅱ, vers 1547
BnF, ms. grec 741
La plupart des manuscrits grecs de la bibliothèque de Matthias Corvin furent acquis à la mort de Janus Pannonius, en 1471. Lors de ses ambassades en Italie, cet humaniste, conseiller de Matthias Corvin, « dévalisait » les libraires – particulièrement Vespasiano da Bisticci – leur achetant tous les manuscrits grecs et latins qu’il pouvait trouver, quel qu’en fût leur prix. On peut raisonnablement supposer que le présent manuscrit provient de sa collection. Il ne porte pas les armes de Matthias Corvin, mais à la fin du volume la mention Re d’Ungaria prouvant qu’il a fait partie de la bibliothèque du souverain hongrois.
C’est par l’intermédiaire de la bibliothèque des Aragonais de Naples rapportée d’Italie par Charles Ⅷ, à la suite de son expédition de Naples, que le manuscrit entra dans les collections royales. Vers le milieu du ⅹⅴⅰe s., il fut recouvert d’une somptueuse reliure aux armes d’Henri Ⅱ.
Pseudo Quintilien, Declamationes
Parchemin, 90 f., 140 × 905 mm
Padoue ou Venise, vers 1465-1470
Reliure en maroquin rouge aux armes royales ; tranches peintes
BnF, ms. latin 7803
Le présent manuscrit contient les Déclamations attribués au Moyen-Âge à Quintilien, un art oratoire particulièrement prisé des humanistes italiens. Il fut réalisé pour János Vitéz, archevêque d’Esztergom, l’un des promoteurs de l’humanisme en Hongrie qui possédait une très riche bibliothèque, et fut l’un des inspirateurs de la politique culturelle de Matthias Corvin.
Le manuscrit est copié par un des scribes habituels de János Vitéz, dont on retrouve la main dans deux autres manuscrits à Vienne et au Vatican ; il est annoté de la main de l’humaniste hongrois. Il porte, visibles par transparence au verso du folio 1, ses armes, d’or au lion de gueules ; d’azur à une fleur de lys accolée de deux étoiles d’or. Celles-ci ont été recouvertes par celles de Matthias Corvin, lorsqu’en 1472, le roi de Hongrie « confisqua » la bibliothèque de l’archevêque.
Le manuscrit est entré dans les collections royales, en 1668, avec la collection du cardinal de Mazarin.
Saint Jérôme, Breviarium in Psalmos
Parchemin, 370 f., 350 × 245 mm
Florence, 1489
Copié par Antonio di Francesco Sinibaldi
Illustré par Attavante
Reliure en maroquin rouge (ⅹⅶe s.)
BnF, ms. latin 16839
Ce manuscrit du commentaire de saint Jérôme sur les Psaumes est particulièrement bien documenté. Sa copie a été achevée, à Florence, le 29 février 1488 par Antonio di Francesco Sinibaldi, scribe et bibliothécaire du roi Ferdinand Ⅰer d’Aragon, pour Matthias Corvin virtutum cultor ac alumnus, comme l’indique un colophon en forme de stèle antique à la fin du manuscrit. L’illustration est l’œuvre d’Attavante, un enlumineur élégant et fécond, qui signe, au folio 1, Attavantes pinxit ; son atelier illustra un grand nombre de manuscrits pour Matthias Corvin.
Le manuscrit s’ouvre, sur la page de gauche, par l’incipit (premiers mots) du texte, écrit en capitales d’or ; dans son encadrement figurent les emblèmes du souverain : le dragon, la pierre à feu ou la fronde (?), le puits, le sablier.
Sur la page de droite, le texte commence par un portrait de saint Jérôme présentant la Bible, inscrit dans l’initiale P de Proxime. La décoration marginale est constituée d’un fonds d’acanthes monochromes bleu et or, sur lequel se détachent quelques portraits. Des putti et des anges portent les emblèmes du souverain (le tonneau, le sablier, le puits, la ruche) et ses armes : armes de la famille Hunaydi (bordure supérieure), un corbeau posé sur un rameau, tenant en son bec un anneau d’or ; armes du souverain (bordure inférieure) : au 1, de Hongrie ancien, au 2, de Hongrie moderne, au 3, de Dalmatie, au 4, de Bohême, au corbeau sur le tout. Le manuscrit entra dans les collections royales avec partie de la collection du duc de La Vallière, en 1783.
Saint Maxime de Turin, Sermones
Parchemin, 201 f., 345 × 235 mm
Florence, 15 juillet 1489
Copié par un clerc de Santa Maria dei Fiori
Illustré par Attavante
Reliure en maroquin olive portant au dos les armes du cardinal Charles Ⅱ de Bourbon
Vendôme
BnF, ms. latin 1767
Ce manuscrit contient une des meilleures versions des Sermons de Maxime de Turin, attribués dans le manuscrit à saint Ambroise. Sa copie fut réalisée à Florence par Cantes Bonagius de Cantinis, un clerc de Santa Maria dei Fiori, et achevée le 15 juillet 1489. Le portrait de saint Ambroise, inscrit dans l’initiale O, et la décoration marginale très structurée évoquant l’orfèvrerie sont l’œuvre d’Attavante, un enlumineur italien fécond.
Le manuscrit fut réalisé pour Matthias Corvin, comme en témoigne la mention Re d’Ungaria (f. 201v). Il passa rapidement dans les collections de Ferdinand Ⅰer d’Aragon, roi de Naples (†1494), qui fit peindre ses armes sur celles que Matthias Corvin avait fait inscrire à l’intérieur du dragon doré. C’est à un de ses successeurs, Ferdinand Ⅲ d’Aragon que le cardinal Georges d’Amboise, archevêque de Rouen, l’acheta au début du ⅹⅴⅰe s. Durant tout le ⅹⅴⅰe s., le manuscrit fut conservé au château de Gaillon (Eure), résidence des archevêques de Rouen. À la mort du cardinal Charles Ⅱ de Bourbon-Vendôme, en 1594, il entra au Cabinet du roi, au Louvre.
Ptolémée, Cosmographia
Parchemin, 110 f., 600 × 440 mm
Florence, vers 1474 ; puis vers 1485-1490
Copié en partie par Hugues Comminel
Illustré par Attavante
BnF, ms. latin 8834
La Cosmographie de Ptolémée fut traduite de grec en latin à la demande du pape Alexandre Ⅴ, vers 1405-1410. Dans la seconde
moitié du ⅹⅴe s., les princes bibliophiles italiens s’en firent copier de somptueux exemplaires.
Le présent manuscrit fut commandé par Matthias Corvin à son libraire florentin favori Vespasiano da Bisticci. La copie fut
commencée vers 1474-1475, par un scribe français, originaire de Mézières, Hugues Comminel, spécialisé dans ce genre
de texte ; il en copia d’autres exemplaires pour Alphonse de Calabre, (BnF, latin 4802), pour le duc de Ferrare, (BnF, latin 401)
et pour le duc de Montefeltre (Vaticane). La copie fut achevée par deux autres scribes, et le manuscrit fut illustré vers 1485-1490,
par Attavante, un enlumineur florentin raffiné.
La page frontispice s’ouvre par la dédicace du traducteur au pape, figurée dans l’initiale A qui débute le texte. L’encadrement est parsemé de camées et de médailles antiques représentant divers empereurs et de portraits de Ptolémée en géographe et en astrologue.
Les armes personnelles de Matthias Corvin (famille Hunaydi), un corbeau posé sur une branche, tenant en son bec un anneau d’or, se distinguent dans l’entrecolonne. Ses armes de souverain figurent au centre de la bordure inférieure : au 1, de Hongrie ancien, au 2, de Hongrie moderne, au 3, de Dalmatie au 4, de Bohême, au corbeau sur le tout.
Le manuscrit fut emporté à Constantinople, lors de la prise de Buda par les Turcs, en 1526. C’est là que François de Tott, représentant de la France en Orient, l’acheta entre 1757 et 1774 pour la bibliothèque du roi.
Jean Cassien, De institutis coenobiorum
Parchemin, 131 f., 385 × 270 mm
Buda, 1490-1491
Copié par Petrus de Abbatis de Bordeaux
Illustré par Francesco de Castello
Reliure en veau raciné aux armes de Charles Ⅹ ; tranches dorées et ciselées
BnF, ms. latin 2129
Le présent manuscrit contient les Institutions cénobitiques et les huit vices de Jean Cassien, une œuvre classique de la littérature religieuse médiévale. Il fut entièrement réalisé à Buda à la fin du règne de Matthias Corvin. Sa copie est l’œuvre de Petrus de Abbatis, un scribe originaire de Bordeaux dont la présence est attestée dans les comptes royaux. L’illustration est, selon la critique récente, due au pinceau d’un enlumineur milanais passé au service du roi de Hongrie, Francesco da Castello.
Le manuscrit est ouvert au début du livre Ⅴ (f. 40), qui évoque le premier des vices guettant le moine, la gloutonnerie ; celle-ci est représentée en médaillon dans la marge. Les lettres MCRV (Matthias Corvinus rex Ungariae), inscrites dans la lettre ornée, ainsi que le puits décorant la marge supérieure indiquent que le manuscrit fut commencé du temps de Matthias Corvin. Il passa ensuite entre les mains de son successeur Wladislas Ⅱ Jagellon, roi de Hongrie de 1490 à 1516, qui fit peindre sur les armes de Matthias Corvin (au 1, de Hongrie, au 2, de Bohême, au 3 de Moravie, au 4, d’Autriche) l’aigle de Pologne (à la place du corbeau). Le manuscrit entra dans les collections royales, en 1662, avec la collection de Raphaël Trichet du Fresne.
Aristote, De anima et Praedicamenta, avec commentaires d’Averroès
Venise,
Andrea Torresani et Bartolomeo de’ Blavi, 1483-1484.
Enluminé à Buda , vers 1490-1491, par Francesco de Castello
Vélin, 60 f. et 230 f., 420 × 280 mm
Reliure à la dentelle (ⅹⅶe s.) dont le motif central imite les reliures de Matthias Corvin.
BnF, réserve des livres rares, Vélins 475 et 478
La bibliothèque de Matthias Corvin ne comptait que quelques incunables. Le présent exemplaire des œuvres complètes d’Aristote en cinq volumes fut imprimé à Venise en 1483-1484 ; son illustration fut entreprise, à Buda, à la fin du règne de Matthias Corvin par un enlumineur milanais, Francesco de Castello ; elle fut poursuivie avec moins de brio sous le règne de son successeur, Wladislas Ⅱ Jagellon, roi de Hongrie de 1490 à 1516.
Le (2e) volume, présentant le De Anima, fut illustré du vivant de Matthias Corvin, par Francesco de Castello, celui-là même qui illustra le manuscrit de Cassien (no 7). On reconnaît dans la bordure marginale son style puissamment décoratif, avec ses rinceaux sinueux enserrant des pierreries multicolores, et ses portraits aux profils guerriers. Mais à la mort du roi, ses armes furent recouvertes par celles de son successeur (cf. l’aigle de Pologne) et ses initiales M R (Matthias Rex) transformées en W R (Wladislas Rex).
Le (5e) volume, qui s’ouvre par les Catégories, fut illustré à moindre frais sous le règne de Wlasdislas, dont il porte les armes : au 1 de Hongrie, au 2 de Bohême, au 3 de Moravie, au 4 d’Autriche, avec sur le tout l’aigle d’argent de Pologne. Les mentions inscrites sur le premier feuillet permettent de suivre l’itinéraire de ce prestigieux incunable avant son entrée à la bibliothèque impériale en 1804 : il appartenait au ⅹⅶe s. à un médecin montpelliérain, bibliophile de renom, François Ranchin, qui en fit don à la bibliothèque des Capucins de Montpellier ; il passa ensuite dans la collection de Robert et Edward de Harley. Il fut acquis en vente publique en 1804.