Session III La bibliothèque, le pouvoir et l’État moderne

Livres et pouvoir royal en France aux ⅹⅳe et ⅹⅴe s.
Marie-Hélène Tesnière, BnF

La Librairie que Charles Ⅴ (1364-1380) installe en 1368 au palais du Louvre a quelque ressemblance avec la bibliothèque de Matthias Corvin. Née apparemment ex nihilo, elle est, à la mort du roi, riche de près de mille volumes. Alors qu’elle paraît « pillée » par les frères du roi, Christine de Pizan en parfait la légende. En 1424, elle est vendue pour presque rien au duc de Bedford ; elle est dispersée à sa mort, en 1435 ; mais les textes essentiels qui la constituent lui survivent, et, par le jeu de copies princières, se retrouvent dans les grandes bibliothèques aristocratiques de la seconde moitié du ⅹⅴe s., fondant l’ébauche d’une conscience commune.

1 – La Librairie de Charles Ⅴ

À son avènement en 1364, le roi Charles Ⅴ fait rénover le palais du Louvre dont il veut faire une de ses résidences. En 1368, il fait transférer au Louvre, dans la tour de la fauconnerie, la bibliothèque royale qui se trouvait au palais de la Cité. En 1369, il nomme pour s’en occuper, un garde, Gilles Malet, qui est chargé d’enregistrer les livres (1373). Le roi conserve ses cinquante manuscrits les plus précieux, les trésors de la monarchie, au donjon de Vincennes.

À la mort de Charles Ⅴ en 1380, la Librairie du roi compte près de mille volumes. Numériquement elle est une des plus belles bibliothèques d’Europe. Elle est essentiellement en français, ce qui est rare pour l’époque. Elle est transmissible à l’héritier du trône, ce qui est nouveau en France.

2 – Réflexion sur le livre et le pouvoir royal sous le règne de Charles Ⅴ

Pour la première fois, le livre est conçu comme enjeu de l’autorité politique. Les prologues des œuvres dédiées au roi montrent comment peu à peu, au cours du règne, le fait de posséder de nombreux livres et de les faire traduire est considéré comme un devoir du roi de France, une preuve de la sagesse royale : c’est un devoir de vertu et de mémoire à l’égard de ses ancêtres ; c’est un devoir à l’égard de son peuple et de ses conseillers pour les bien gouverner et leur servir de modèle, c’est un devoir à l’égard de ses enfants, car de leur éducation dépend l’avenir de la dynastie.

Le Songe du Verger l’affirme finalement, en 1378 : et est beau tresor a un roi avoir grant multitude de livres.

3 – Les gens du livre au temps de Charles Ⅴ

Charles Ⅴ est le premier à porter intérêt aux hommes du métier du livre. En 1364 il nomme un de ses copistes Jean Lavenant « écrivain » du roi avec un salaire de quatre sous par jour. Il semble qu’il y ait eu trois autres « écrivains du roi », même si l’on n’a pas toujours conservé de documents le prouvant explicitement. Ils faisaient fonction de « libraire du roi », c’est-à-dire qu’ils surveillaient les différentes étapes de la confection des livres du roi : ce sont Henri Luillier, Henri de Trévou et Raoulet d’Orléans. Il est vraisemblable que le roi avait également plusieurs enlumineurs attitrés. En 1368 et 1369, Charles Ⅴ accorde aux gens du livre de Paris des privilèges qui les assimilent aux universitaires.

4 – La politique éditoriale de Charles Ⅴ

On a souvent évoqué la politique de traduction de Charles Ⅴ qui fit traduire en français près de trente textes touchant tous les domaines du savoir : astrologie, recueils d’édification ou de liturgie, encyclopédies, histoire, corpus moral d’Aristote et œuvres de saint Augustin.

On a souvent mis cette politique en relation avec la volonté de donner au français le statut de langue de savoir à l’égal du latin, et avec l’élaboration d’importants cycles iconographiques, l’un et l’autre permettant une meilleure compréhension des œuvres. Mais il faut prendre conscience qu’il s’agit d’une véritable politique éditoriale, qui porte également sur la réédition de traductions plus anciennes et sur la réélaboration des cycles iconographiques.

Pour les œuvres importantes, le roi a deux livres, l’un pour sa personne privée, l’autre pour sa personne de souverain.

La diffusion de toutes ces œuvres obéit à un programme dont le Songe du Vieil pèlerin de Philippe de Mézières donne le détail.
Dans les manuscrits, la scène de présentation du livre au roi est valorisée.

5 – La poursuite du programme culturel

À la mort de Charles Ⅴ, en 1380, la bibliothèque paraît servir d’enjeu de pouvoir aux frères du roi. Le duc de Bourgogne fait récoler l’inventaire complété de 1373, dont un exemplaire est remis au jeune Charles Ⅵ avec les clefs de la tour.
Louis d’Anjou emprunte, entre octobre 1380 et mai 1381, trente manuscrits à la Librairie royale : son intention est de poursuivre l’œuvre culturelle de Charles Ⅴ, particulièrement dans le domaine des traductions. Son départ pour l’Italie en 1382 y met un terme.

Le flambeau est repris par Louis d’Orléans, le frère de Charles Ⅵ, qui à partir de 1392 prend à son service Gilles Malet ; en 1397 il installe dans son hôtel de la Poterne, près de l’hôtel Saint-Pol, une nouvelle libraire, fait relier à neuf ses livres, et travailler par l’intermédiaire du libraire Étienne Langevin, copistes, enlumineurs, et même des traducteurs qui poursuivent la traduction de la Bible de Jean de Sy. De cette dernière décade du ⅹⅳe s. date la première diffusion de la librairie de Charles Ⅴ.
Philippe le Hardi et Jean de Berry se constituent de prestigieuses bibliothèques : elles ont été minutieusement étudiées. Eux aussi reçoivent l’hommage de livre de leurs dédicataires. Comme le pouvoir est partagé, les livres de dédicace sont multiples.

La Bibliothèque nationale de France a lancé, à l’image de la Bibliotheca Coviniana digitalis, le projet d’une reconstitution virtuelle de la librairie de Charles Ⅴ : édition des inventaires, identification des manuscrits, numérisation intégrale des manuscrits.

Un sovrano umanista e la cultura classica fra antichità e modernità. Le questioni dell’interpretazione politica della Biblioteca Corvina Árpád Mikó, galerie nationale de Hongrie Résumé français par L.A. Sanchi, CNRS-IRHT

Telle qu’elle a été étudiée par les historiens du livre et les historiens de l’art, la bibliothèque constituée par Matthias Corvin présente de nombreuses difficultés de catalogage. Des reliures aux blasons, des types de décoration aux marques des possesseurs chacun des critères paraît insatisfaisant et se heurte au problème des imitations réalisées à l’époque suivante, celle de Ladislas Ⅱ Jagellon. Le fond de la question réside en l’enjeu politique de légitimation du pouvoir que cette bibliothèque a toujours constitué en Hongrie, depuis les louanges humanistes décernées à Matthias jusqu’à la tradition d’études d’époque récente – de l’histoire à la philologie classique, de l’histoire des arts à celle des bibliothèques – toutes marquées par la visée patriotique. Il importe alors de parcourir brièvement l’histoire de la renommée de cette bibliothèque ainsi que l’histoire des travaux menés sur les différents aspects de celle-ci, afin de faire ressortir les éléments idéologiques ayant modifié la définition de la réelle entité de cette collection de manuscrits unique au monde, sans oublier qu’un critère décisif, compte tenu de la naissance de la Corviniana voire de l’adjectif qui la désigne, demeure impossible à atteindre.

La bibliothèque du souverain et les cénacles humanistes Donatella Nebbiai, CNRS-IRHT

Les cénacles humanistes se développent au cours du Quattrocento en Italie, préfigurant les réseaux érudits de l’Europe moderne. Affirmant leur nouveau statut, les lettrés s’y réunissent autour de personnalités éminentes et jouent un rôle fondateur dans la circulation des livres et des savoirs. Soucieux de renforcer leur pouvoir personnel, les seigneurs tendent à exercer une influence croissante sur ces groupes, qui sont chargés de relayer leur politique culturelle et participent à la création des grandes bibliothèques d’État. Par leur action concertée en réseau, les cénacles sont à l’origine du succès, dans toute l’Europe, d’un modèle de collection dont les contenus et l’organisation sont homogènes. La bibliothèque de Matthias Corvin s’insère dans ce mouvement. Je me propose de mettre en évidence le rôle joué à Florence par quelques-uns des familiers et des conseillers du souverain dans le cadre de réseaux bibliophiles où interviennent étudiants, marchands, religieux, copistes, maîtres de grammaire et de grec. La configuration et l’influence de ces réseaux vont se modifier à partir de 1470, après l’éviction de Vitez et de ses partenaires.

München, Bayerische Staatsbibl. CLM 15734 f. 1 Armes parties de Giorgio Antonio Vespucci et de Péter Garazda
München, Bayerische Staatsbibl. CLM 15734 f. 1
Armes parties de Giorgio Antonio Vespucci et de Péter Garazda

Mattia Corvino, la biblioteca, il potere e l’età moderna Ernesto Milano, Biblioteca Estense, Modène

Lo sviluppo dell’umanesimo in Ungheria comincia veramente nei primi anni del Quattrocento, grazie alla presenza di personalità come Pietro Paolo Vergerio, János Vitez e János Pannonius, possessori di ricche biblioteche. Predestinato al potere e alla ricchezza, Mattia Corvino incarna l’uomo rinascimentale teso alla realizzazione di una nuova civiltà. Celebrata nell’opera di Naldo Naldi, la Corviniana è un progetto politico, che serve al sovrano a legittimare la propria autorità e quella di suo figlio, destinato a succedergli, un progetto che si costruisce tramite la densa rete di rapporti diplomatici con gli altri stati e tramite i sequestri. Ma oltre all’amore per i codici lussuosi, Mattia ha anche coltivato l’interesse filologico per il testo.